L’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes dans le secteur culturel : une étude de cas sur les gilets vibrants et la musique
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Le samedi 27 mai 2023 a eu lieu au théâtre de l’Ariston, à Esch-sur-Alzette, une après-midi d’étude consacrée à l’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes dans le secteur culturel.
L’après-midi s’est ouverte par trois ateliers destinés à faire prendre conscience aux participant.e.s qu’il est possible de faire l’expérience de la musique autrement que par l’ouïe.
- Un atelier a permis de tester les gilets vibrants Subpac qui traduisent la musique en vibrations et permettent ainsi d’en ressentir les effets.
- Un autre atelier a fait découvrir le chansigne : une forme artistique qui consiste à interpréter en même temps les paroles de la chanson et la musique, en mêlant langue des signes et inventions visuelles/gestuelles ad hoc.
- Enfin, un troisième atelier intitulé Percevoir La Musique Différemment et mis en place par l’association Vedanity Affair avait pour objectif d’amener les publics entendants à comprendre comment les publics sourds font l’expérience de la musique. L’atelier a proposé de voir la musique dans des matériaux solides et liquides ; de la toucher avec les mains ; de la percevoir avec le corps.
L’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes dans le secteur culturel – 27.05.2023
Ensuite, l’équipe de chercheur.se.s de l’Université de Lille a présenté les premiers résultats d’une étude ayant porté sur les gilets vibrants et plus largement sur les manières de favoriser l’inclusion des personnes sourdes ou malentendantes dans les événements musicaux.
Juliette Dalbavie, François Debruyne et Nine Jacquet ont partagé des concerts avec des personnes entendantes, malentendantes ou sourdes et ont mené des entretiens avec elles pour comprendre l’expérience que proposent ces gilets.
Elles ont aussi rencontré divers acteur.rice.s impliquées dans les relations entre les mondes de la culture et les mondes sourds (des associations, une école de logopédie à Luxembourg, des institutions culturelles…) et ont prolongé leur enquête à Lille pour mettre en perspective les différentes expérimentations menées sur ces territoires.
Les premiers résultats de l’étude sont riches. On peut retenir surtout que :
- Le gilet vibrant fait résonner la musique, la fait ressentir dans le corps sans passer par les oreilles mais il n’est pas neutre.
- Il favorise les sonorités basses et infra-basses. Un nombre important de sons musicaux ne passent pas dans le gilet : les sons plus aigus, donc les sons de certains instruments et de certaines voix
- Le choix des musiques, des artistes ou des groupes dont on peut faire l’expérience avec le gilet vibrant est donc restreint et nécessite un travail de sélection, en amont, des concerts que l’on peut écouter.
- Le gilet vibrant n’est pas à l’origine un dispositif conçu pour les personnes sourdes ou malentendantes mais pour des Djs et des créateurs de musique plus largement. Il n’a donc été conçu ni par ni avec des personnes sourdes ou malentendantes
- C’est une technologie conçue à partir de données scientifiques solides sur la perception du son par le corps humain. Pour autant, il existe toujours un écart entre ces données scientifiques théoriques et les expériences sensibles de chacun.e avec la musique – que l’on soit sourd ou entendant.
- De fait, les zones du corps assignées par le gilet vibrant (le dos) ne sont pas toujours les zones les plus pertinentes pour celles et ceux qui l’expérimentent.
- Le gilet vibrant ne permet pas d’établir de correspondances complètes entre les vibrations ressenties et ce qui se joue visiblement sur scène et du côté du public. Cela peut provoquer une certaine frustration, en particulier pour les personnes sourdes ou malentendantes.
- Il a tendance à ré-individualiser l’expérience du concert, qui habituellement se partage à plusieurs. Avec le gilet, chacun.e est plongé.e, “immergé.e” (ou tente de l’être) dans un rapport entre soi et la musique.
- Si l’offre de gilets vibrants ne suffit pas à mettre en œuvre une réelle politique d’accessibilité, le fait de les rendre plus visibles et de pouvoir les tester semble être une étape intéressante pour y participer. Le faire à partir d’endroits qui font partie de la vie ordinaire des personnes sourdes ou malentendantes semble la solution la plus adéquate.
- Le gilet vibrant peut également donner lieu à des utilisations imprévues hors du cadre du concert, en particulier dans des lieux d’expérimentation pédagogique comme les centres de logopédie. Ces usages ouvrent de nombreuses pistes pour tester autrement l’utilité de ces technologies.
- Le gilet vibrant Subpac n’est pas le seul dispositif technologique existant. D’autres dispositifs vibro-tactiles sont en cours d’expérimentation et de développement : certains ont l’intérêt d’être développés avec des publics et des artistes concernés et surtout d’être pensés en complémentarité avec d’autres formes de médiation : nous pensons ici notamment au dispositif Totem mis en place par l’Aeronef à Lille.
- S’il est nécessaire de proposer des dispositifs d’accessibilité aux personnes sourdes ou malentendantes, il est tout aussi important de proposer des formes de médiation destinées aux personnes entendantes pour les sensibiliser aux situations spécifiques vécues par les personnes sourdes ou malentendantes.
- Le gilet ne suffit pas, à lui seul, à rendre un concert « inclusif » : il doit être accompagné d’une série d’autres dispositifs allant, par exemple, d’une personne à l’accueil connaissant quelques rudiments de Langue des Signes, en passant par une signalétique accessible et plurilingue et la mise à disposition de documents de communication en écriture “facile à lire et à comprendre” (FALC), ou encore de la présence d’une personne sachant signer qui, tout au long de la soirée pourrait accompagner les personnes dotées d’un gilet vibrant. Autant de formes d’accueil et d’hospitalité qui constituent quasiment un préalable.
- Au-delà de l’acquisition de dispositifs technologiques clef en main comme le gilet Subpac, il ne faut pas perdre de vue que ce qui favorise la participation des personnes sourdes aux événements musicaux, c’est avant tout la présence sur scène de formes issues de la culture sourde, en particulier du chansigne. Le chansigne est à la fois une performance artistique à part entière (langagière, gestuelle, chorégraphique) qui parle à tou.te.s et une forme de médiation qui permet de rendre accessible les concerts aux personnes sourdes.
- Ces résultats présentent autant de pistes à creuser pour fabriquer des dispositifs véritablement inclusifs : travailler avec les personnes en situation de handicap et les associations pour comprendre leurs expériences vécues, intégrer plusieurs dispositifs complémentaires à une chaîne d’inclusivité, travailler sur le long terme, évaluer ce qui ce qui se passe et prendre au sérieux ce qui n’était pas prévu.
Le rapport complet de l’enquête sera disponible fin 2023 sur la page du projet Musimitex (MUSIque, Médiation, Inclusion : Territoires des Expérimentations avec les personnes sourdes) : http://www.meshs.fr/page/Musique_Surdite
L’équipe remercie les partenaires de cette étude : HörgeschädigtenBeratung SmH, la Ville d’Esch-sur-Alzette, Esch 2022 Capitale européenne de la Culture, la MESHS, le Conseil Régional des Hauts-de-France et l’Université de Lille.
Responsable de l’étude :
celine.schall (at) villeesch.lu
Chargé.e.s de l’étude :
juliette.dalbavie (at) univ-lille.fr
francois.debruyne (at) univ-lille.fr
Jacquet.neni (at) gmail.com
Responsables de la journée :
scolle (at) hoergeschaedigt.lu
Celine.schall (at) villeesch.lu