La metteuse en scène, comédienne et performeuse Sophie Langevin sera en résidence d’écriture et d’expérimentation à la Kulturfabrik en décembre 2022, dans le cadre du projet « Portraits en chambre ».
Les portraits en chambre sont nés un petit matin alors que l’aube était encore loin de se lever. Un petit matin d’insomnie pour écrire le portrait d’une femme insomniaque. Un petit matin en retard sur le temps d’un projet à rendre et qui appelait en urgence à prendre la plume-clavier.
Auto-Autorisation fut faite. Et ce fut vécu comme une petite grâce. Il était envisageable d’écrire. Et l’écriture allait donner naissance à la possibilité de créer de nouvelles formes très personnelles.
Ce premier portrait intitulé « Avait-elle jamais dormi » allait ouvrir le projet d’installations que j’ai réalisé pour le projet EKINOX produit par le NEST – CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est, dans le cadre d’Esch2022. Il a ouvert une porte – celle de L’APPARTEMENT QUI NE DORMAIT PAS ; quatre compositions vivantes, comme autant de « tableaux » photographiques et cinématographiques très cadrés. Le public observe et écoute des histoires par des lucarnes (entrebâillement de porte) et au casque. Ce sont des fragments du passé et vie présente. Ce sont les interrogations et les désirs qui s’entremêlent et qui suscitent le trouble. Les images sont fixes, les corps aussi. Les actrices sont à 2 mètres du regard.
L’appartement qui ne dormait pas est donc le début d’un projet plus vaste sur l’intime pris dans un lieu clos ou ouvert selon et une temporalité suspendue. Comme si le temps pouvait s’arrêter et se recomposer d’une autre manière.
Cette forme courte (5 minutes) va me permettre à travers ces portraits de femme de questionner notre temps, nos bouleversements, notre condition. Questionner notre société tiraillée entre progressisme et conservatisme et où les repères sont bousculés, interrogés, voir anéantis pour certains. Le rapport au genre d’autre part qui a déplacé nos compas ou métronomes intérieurs et qui modifie la carte intime et ceci dans un monde où la question de la vérité se confronte aux réseaux sociaux et à l’illusion de l’histoire. De nos histoires.
Le politique par le prisme de l’intime.
C’est un double mouvement que je recherche dans cette écriture. Je cherche à faire apparaitre par l’intime du récit de ces femmes et ensuite dans la position que je donne aux spectateurs/observateurs à éclairer une part d’ombre ou de lumière de ces personnages dans un temps comme dilaté pour donner toutes les aspérités des sentiments.
Le travail sur le temps participe à ce qui est proposé. Je tente de l’arrêter, de le suspendre pour donner à voir les différentes couleurs de nos émotions.
Ensuite dans tous ces premiers tableaux, le décor fait partie de l’histoire. Il est mis en scène, il participe à l’histoire, il est matière aussi de l’intime. C’est alors comme une mise en abîme à travers un lieu, un espace. Je souhaite continuer ce travail de mise en scène du lieu intime.
Ce serait de l’espace que tout part, pourrais-je même dire.
Je donnerais deux détails d’espace et de cadre de récits qui seront les décors (intime) des histoires que je souhaite écrire mais il y en a déjà d’autres en gestation.
Le carrelage d’une cuisine donnant sur un jardin. Des pieds nus et à la main, des chaussures.
C’est ce carrelage qu’elle avait choisi pour leur maison. Et c’est celui qu’elle allait devoir quitter pour s’arracher de cette maison qui était devenue son enfer. Elle devait le quitter pour cesser de se laisser battre.
C’est l’instant de suspension du départ. La minute qui va faire chavirer son histoire, son destin. La minute qui est des heures tant les questions affluent…
Le lit était fait. Elle était assise sur la couette délavée de sa fille adolescente, sa main tenant la lettre de sa fille. Elle ne bougeait pas, figée par ce qu’elle venait de lire. « Maman, à partir d’aujourd’hui, j’aimerais avec papa que vous m’appeliez François. »
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